Supprimer les services de chirurgie potentiellement dangereux car leur activité est trop faible

Par Christian Anastasy, Ex-directeur général de l’ANAP et Inspecteur général des affaires sociales, pour le Blog du Think Tank Economie Santé.

08 Nov 2022
Christian Anastasy, Ex-directeur général de l’ANAP et Inspecteur général des affaires sociales.

Les dépenses inutiles liées à une mauvaise organisation du système de santé sont largement renseignées et représentent des dizaines de milliards d’euros de dépenses inutiles. Les exemples abondent : délivrance inefficiente de soins, manque de coordination entre la médecine de ville et l’hôpital, redondances d’actes et examens, complications et réhospitalisations évitables, sur ou sous traitements, procédures administratives inappropriées ou prix inadaptés… sans oublier le maintien de services de chirurgie à trop faible activité qui, faute de seuils minimum d’activités imposés par l’Etat, continuent leur trop faible activité souvent de qualité médiocre. Dans la majorité des pays de l’OCDE des seuils minimum d’activité déterminent les autorisations d’exercice de cette discipline parfois risquée pour le citoyen.

La chirurgie en France

Chaque année sont réalisées dans 7400 salles d’opérations réparties dans plus de 950 établissements de santé de statut public ou privé près de six millions d’opérations chirurgicales avec anesthésie, généralement en toute sécurité et pour le mieux-être des patients. Elles représentent environ 20% des dépenses hospitalières (près de 20 Mds d’€).

Cependant, ainsi que le souligne la Cour des comptes, plus de 10% des établissements de santé autorisés à effectuer cette activité, soit un peu plus d’une centaine, ont une activité inférieure à celle préconisée par toutes les sociétés savantes médicales sans que jamais leurs autorisations soient retirées par les autorités de contrôle. De plus les actes chirurgicaux réalisés sont diversifiés et de fait individuellement trop rares pour un entrainement suffisant des équipes. Le risque existe donc bien d’événements indésirables graves car ces établissements ne disposent ni de plateaux techniques du niveau requis, ni surtout d’équipes médicales et soignantes suffisantes pour assurer la continuité des soins.

Toutes les études et recommandations scientifiques montrent qu’il est mieux pour un patient d’être opéré dans un service ayant une activité chirurgicale conséquente !

Ainsi, en 2009, l’Institut de Recherche et Documentation en santé (IRDES) prouve que pour cinq interventions fréquentes (chirurgie pour cancer du côlon, pontage aorto-coronarien, accident vasculaire cérébral, résection pancréatique et prothèse totale de hanche), la probabilité de réadmission, ou de mortalité, est plus élevée dans les structures à faible activité chirurgicale.

La société française d’anesthésie réanimation (SFAR) souligne quant à elle, en Mars 2010, « qu’en général, une équipe réalise bien ce qu’elle a l’habitude de faire et que toute technique sporadique en matière d’anesthésie-réanimation est un facteur majeur de risque ».

En 2012 et 2015, la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) établit, dans ses rapports annuels « Charges et produits », que la durée moyenne de séjour et la probabilité de complications sont moindres dans les établissements dont l’activité est importante et spécialisée que dans ceux à faible activité.

Enfin, les Académies nationales de médecine et de chirurgie estiment indispensable, depuis plus de quinze ans, le regroupement d’activités de chirurgie disséminées. A titre d’exemple, elles précisent en 2016, que pour la chirurgie cardiaque «la condition d’atteindre des masses critiques suffisantes est subordonnée à 600 actes par an pour au moins trois chirurgiens, réalisant chacun 200 interventions ». Pourtant le seuil actuel reste toujours fixé pour cette discipline à très fort potentiel de risques à 400 par an sans minimum par chirurgien.

Néanmoins ces recommandations n’ont jamais été prises en compte.

Leur respect aurait dû provoquer la fermeture d’un peu plus de cent structures publiques ou privées potentiellement dangereuses sur le territoire national mais le scrupuleux tollé, notamment d’élus locaux confondant souvent proximité et qualité, a fait reculer les gouvernements successifs. Pour mémoire deux exemples de velléités gouvernementales fondées sur des recommandations scientifiques constantes, sont ainsi restées sans suite :

  • En 2004, le ministère de la santé avait invité les agences régionales de l’hospitalisation à « faire évoluer les sites de chirurgie ayant une activité annuelle inférieure à 2000 interventions avec anesthésie, car en deçà de ce niveau d’activité il existe un risque en termes de sécurité des soins pour les patients pris en charge ».
  • En 2010, le ministère de la santé avait même préparé deux projets de décrets s’appuyant sur les recommandations académiques fixant à 1 500 actes annuel minimum le seuil d’activité en chirurgie. Pourtant à ce jour les autorisations d’activité chirurgicale de ces services continuent d’être renouvelées pérennisant ainsi des pratiques chirurgicales incertaines pour les patients, indépendamment du caractère inapproprié des dépenses induites !

L’Etat doit donc enfin promouvoir la réforme de la chirurgie différée depuis vingt ans !

La qualité du service rendu à la population doit prévaloir par rapport à tout éventuel petit calcul électoral en faveur du maintien de l’emploi local !

Certes convaincre les élus locaux et les tenants du confort illusoire de la proximité au détriment de l’excellence ne sera pas aisé. Mais il convient cependant d’aboutir à la suppression dans notre pays de tous ces services de chirurgie potentiellement dangereux car leur activité trop faible, leurs équipements médiocres, leurs équipes médicales insuffisamment étoffées et entrainées, indépendamment de leur qualité personnelle, rendent impossible à assurer dans des conditions favorables aux patients la permanence des soins post interventionnels !

Gageons que l’Etat saura bien vite réutiliser à bon escient les économies substantielles réalisées par la fermeture de ces services dangereux, tant pour le bénéfice des patients que pour l’amélioration des conditions de travail des personnels, notamment ceux affectés dans des services de chirurgie à forte activité qui, pour ce qui les concerne, ne disposent pas toujours des moyens suffisants !

 

Christian Anastasy, ex-directeur général de l’ANAP et Inspecteur général des affaires sociales, a publié cet article dans le cadre du Think Tank Economie Santé, développé par Les Echos Le Parisien Evénements.

 

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