Santé présidentielle : deux questions

A moins de trois mois de l’élection présidentielle, alors que la santé semble devoir être un thème important de la campagne*, les prises de position et les propositions se multiplient. Devant ces prises de parole débridées, il n’y a pas lieu de se censurer. Voilà donc deux questions qui pourraient être posées et dont la résolution heureuse contribuerait à démêler l’écheveau et à améliorer les choses, en particulier les conditions dans lesquelles les malades sont pris en charge. (Au demeurant, cette « résolution heureuse » est déjà accomplie et on peut désormais observer- certes sur un mode encore très minoritaire – des réalisations opérationnelles, qui, soit en ville, soit à l’hôpital, soit encore mieux entre les deux, illustrent les éléments de réponse développés ci-dessous).

31 Jan 2022
Jean-Michel CHABOT, Universitaire, PARIS

L’ordre dans lequel interviennent ces questions n’est pas indifférent ; en effet, une réponse appropriée à la première conditionne la seconde

 

1 – le secteur ambulatoire peut-il mieux qu’il ne le fait aujourd’hui assumer les demandes des patients, à commencer par les soins non programmés ? Sûrement oui. A la condition toutefois que les médecins impulsent eux-mêmes une nouvelle organisation de leurs conditions d’exercice (alors que la plupart des organisations et instances qui les représentent s’en préoccupent distraitement). Bigre ! Cette organisation, portée par les professionnels, permettrait à la fois d’authentifier ce à quoi les médecins d’aujourd’hui tiennent (incarné par le nouvel équilibre « vie personnelle/contraintes d’exercice » et le large degré de liberté pour organiser leurs activités) et de moderniser – enfin – leur cadre d’exercice. Dès lors, nombre d’évolutions et de réformes, à ce jour plus ou moins maladroitement initiées par les administrations, donneraient tout leur potentiel au lieu du bégayement actuel. C’est évidemment des métiers de soutien à l’activité du médecin (assistant médical, coordonnatrice, pratiques avancées, etc.) qu’il s’agit ; mais aussi de l’usage maitrisé des systèmes d’information et des diverses applications de télésanté … pour finalement s’extraire d’un exercice isolé** d’un autre âge et tirer tout le bénéfice de pratiques mieux coordonnées entre professions médicales, soignants et services sociaux. Alors, réaliser en ambulatoire l’accès aux soins non programmés ou bien le suivi au long cours des patients chronicisés, le tout dans des conditions sécures, deviendrait tout à fait habituel et finalement un fait majoritaire. A l’évidence, une puissante injonction politique serait bienvenue.

 

2 – l’hôpital public peut-il adopter une autre posture que les plaintes continues sur l’insuffisance de moyens*** ? (et ainsi faire l’impasse sur la seule question qui vaille : à quels besoins des patients, la puissance publique doit-elle s’efforcer de répondre au mieux ?) Pour être valablement appréhendé, ce questionnement doit être accompagné des cinq préambules suivants (généralement ignorés dans les débats récents) :

  • D’abord, reconnaître (et davantage) les situations de blocage , pénurie, dysfonctionnement, confusion, indisponibilité, incompréhension, incertitude, etc. qui rendent la vie encore plus difficile au sein des hôpitaux ; même si ce n’est pas sur cela que l’on fonde des réformes ou une politique.
  • Ensuite, acter que l’hôpital n’est plus l’alpha et l’omega du système de soin ; et pas plus une porte d’entrée usuelle. C’est d’ailleurs très souvent en son sein qu’ont été développées les innovations et techniques qui font que la majorité des malades dans la majorité des spécialités sont désormais « ambulatoires » et non plus « couchés dans un lit ». Et il y a tout lieu de penser que cette tendance lourde va encore s’accentuer, autant via de nouvelles innovations technologiques que pour prendre en compte les aspirations des patients et des entourages. Ainsi, l’hôpital d’aujourd’hui est davantage un point de passage sur un plateau technique pour un patient bienheureux de rentrer chez lui aussitôt que possible (dès lors que son ambulatoire est sécurisé, cf supra). Au demeurant ce constat n’a rien de surprenant, voilà près de 50 années, dans son fameux discours de 1973, Robert Debré l’anticipait déjà à sa manière****. On peut cependant rester étonné que nombre de leaders médicaux hospitaliers n’en prennent pas toute la mesure en rénovant radicalement les modes des prises en charge qu’ils organisent pour les malades et en développant un ambulatoire, gage de marges de manœuvre.
  • Enfin, sortir du discours excessivement réducteur et considérer que l’objet n’est pas « l’hôpital » monolithe , mais « les hôpitaux » et même bien davantage, les structures cliniques très diversifiées que l’on retrouve au sein d’un même établissement hospitalier et dont certaines ont une utilité croissante et doivent être reconnues et mieux dotées, alors que d’autres sont bien équilibrées et que d’autres enfin, devraient être réformées. C’est donc bien de discernement, de flexibilité et d’adaptation dont il devrait être question.
  • Quant à la crise des vocations (ou bien la brièveté des carrières si l’on observe par exemple le grand nombre d’infirmières qui arrêtent et se réorientent radicalement après quelques années au chevet des malades – ce qui en réalité n’est pas nouveau …) les responsables hospitaliers devraient avant tout chose s’interroger sur le cadre de travail proposé, sur les valeurs qui sous-tendent ce cadre et sur l’attractivité qu’ils incarnent. Il est possible que ce cadre et ces valeurs soient en décalage croissant avec les aspirations légitimes des jeunes générations ; jeunes générations le cas échéant entravées dans des statuts, par exemple d’auxiliaires médicaux contraints par des « décrets d’actes » désuets et dont les possibilités d’évolution professionnelle sont régulièrement remises à plus tard depuis bien des années. Idem pour l’ensemble des professionnels soignants et praticiens hospitaliers.
  • Reste la question de l’encadrement administratif (et de la profusion des procédures qui est réputée en résulter) régulièrement dénoncé comme pléthorique, même si ces dénonciations reçoivent généralement des dénégations. Un bon exemple, rarement évoqué, est fourni par le « surencadrement » résultant des cellules Qualité/Sécurité (ramifiées par divers comités ad hoc) dont tous les hôpitaux se sont dotés – incluant les créations d’emploi – au cours des 15 dernières années. Le surcroît d’administration paperassière qui en est sorti a pu quelquefois anéantir les praticiens qui s’y trouvaient confrontés. Mais il est tout aussi vrai que ces mêmes praticiens auraient pu en alléger la charge en assurant eux-mêmes le leadership sur ces sujets au lieu d’y opposer le déni ou le mépris. L’expérience clinique et le pragmatisme auraient prévalu ; simplification drastique ou surcroît d’utilité pouvait en être le résultat. De tels exemples, où l’administration est amenée à investir pour pallier le retrait des médecins ne sont pas exceptionnels. Cela tient possiblement au « cursus » suivi par les étudiants externes puis internes, puis chefs, puis « agrégatifs » … Et ce ne sont pas les tentatives maladroites, initiées depuis 2009, de donner une formation managériale à certains praticiens hospitaliers volontaires qui risquent d’améliorer notoirement les choses. On est loin du « Partnership » mis en place depuis l’origine à la Mayo Clinic, où la confusion des genres n’est pas de mise*****. En revanche, instituer un certain degré de mixité entre les futurs médecins hospitaliers et les « élèves directeurs » dès leur formation initiale, en faisant que les uns et les autres perçoivent mieux le contenu, les contraintes et les finalités réciproques, pourrait améliorer les choses. De tels séminaires étaient organisés voilà bien des années ; le rédacteur de ces lignes les avait réactivés voilà une décennie. Et même si cela est anecdotique, les participants d’alors en avaient perçu l’agrément et l’utilité.

 

*on peut s’en étonner, alors que le quinquennat qui arrive à son terme avait justement projeté dès 2018 une vaste réforme intitulée « Ma santé 2022 » dont beaucoup avaient salué l’ambition ; d’autres alors, plus silencieux, devaient se dire que les évolutions annoncées ne leur convenaient guère

** exercice isolé qui est l’expression anachronique d’un libéralisme, dont les principes d’exercice – transcrits dans le code de la santé au début des années 1970 et aujourd’hui très largement niés dans les faits – remontent à … 1927, une époque où le syndicalisme médical commençait de se structurer. En réalité, les « libéraux » d’aujourd’hui seraient bien inspirés d’actualiser ces principes afin de les revigorer. C’est en 1927, dans le cadre de la Charte votée par les syndicats médicaux, que sont formalisés les principes d’exercice de la médecine libérale : fondée sur le colloque singulier du malade et de son médecin, qui relève totalement de la sphère privée, elle affirme les principes du libre choix du médecin par le malade, de la liberté de prescription du médecin, de l’entente directe entre malade et médecin en matière d’honoraires, du paiement direct des honoraires par le malade au médecin. Le principe de l’entente directe a été remplacé, en 1971, par l’introduction du libre choix d’installation. Ces principes sont aujourd’hui codifiés dans l’article L. 162-2 du code de la sécurité sociale

***et que dire de la « T2A » méchamment vilipendée ces derniers mois, et heureusement – enfin – reconnue comme un système de financement approprié lors d’un récent débat entre professionnels (dès lors que les activités valorisées sont pertinemment identifiées, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui, mais qui pourrait bénéficier d’une expertise active des cliniciens)

**** « L’hôpital de demain doit être le centre de la santé, avec une pénétration beaucoup plus importante de sujets qui ne sont pas hospitalisés que de sujets hospitalisés » 

***** Herell J.H., The Physician-Administrator Partnership at Mayo Clinic. Mayo Clin. Proc. 2001 ; 76 : 107-109