Les urgences, symptôme criant de l’inertie qui handicape la santé

Par Philippe LEDUC pour le Blog du Think Tank Economie Santé

14 Juin 2023
Philippe LEDUC, Directeur du Think Tank Economie santé

Les urgences sont le reflet des difficultés de réforme du système de santé. Ici comme ailleurs, les solutions sont connues depuis longtemps. Le retard à leur mise en place aboutit à une augmentation de la mortalité dans les services d’urgence engorgés. Comment expliquer cette inertie, en dépit non seulement des rapports mais aussi des injonctions. La dernière en date – celle du Président de la République – fixe l’échéance à la fin de l’année prochaine pour désengorger tous les services d’urgence.

 

Les urgentistes réunis en Congrès début juin à Paris ont une nouvelle fois alerté. La surmortalité hospitalière liée à l’engorgement des urgences est, selon plusieurs études, de 9% pour les patients toutes pathologies confondues et de 30% pour les patients les plus fragiles.

 

 

Une augmentation de la mortalité de 50%
Aujourd’hui, une nouvelle étude présentée au Congrès et en cours de publication révèle que la surmortalité serait de l’ordre de 50% chez les plus de 75 ans contraints de passer la nuit aux urgences sur un brancard faute de lit d’hospitalisation. Le taux de mortalité hospitalière à 30 jours passerait de 11,1% à 15,7%. C’est considérable.

 

 

Les urgentistes aujourd’hui ne déplorent non pas tant les difficultés en amont des urgences (la médecine de ville) mais les carences de l’aval (« le grand oublié ») des urgences, c’est-à-dire les blocages au transfert des patients vers les autres services hospitaliers des établissements. Et pourtant cette constatation ne date pas d’hier. Déjà il y a 10 ans Marisol Touraine, Ministre de la santé à l’époque, en avait été convaincue, admettant que cela était certes « contre-intuitif. »

 

 

Les urgentistes insistent avec force :
« Oui, le service d’urgence a pour mission d’accueillir tous les patients qui se présentent pour une urgence, pour qualifier l’urgence de leur besoin de santé, initier un traitement puis orienter le patient dans la bonne filière de soins pour les suites de la prise en charge. Pour cela les salles d’examens des urgences doivent être disponibles pour accueillir les nouveaux patients. Sans salle disponible, le service d’urgence ne peut plus remplir sa mission de service public : accueillir et traiter les patients en urgence. »

 

 

« Non, le service d’urgence n’a pas la capacité de garder les patients en hospitalisation dans le service pour traiter les pathologies qui relèvent des spécialités des services de soins. »
En amont, le SAS, service d’accès aux soins, en cours de généralisation à marche forcée, a pour mission de mieux répartir les patients vers les bonnes filières de soins, ambulatoires ou hospitalières.

 

 

« Attente brancard » et « maltraitance brancard »
Le problème, c’est l’aval. L’engorgement des urgences relève majoritairement de « l’attente brancard » responsable « d’une maltraitance-brancard » par difficulté d’hospitalisation en aval des urgences. Or dans certains hôpitaux, cela marche. Ceux qui ont mis en place le challenge « zéro-brancard » comme objectif prioritaire. Cela n’est pas forcément simple car c’est l’ensemble de l’hôpital, tous les services qui doivent se mobiliser. « Tout l’enjeu, c’est de transformer en profondeur le positionnement des urgences au sein de l’hôpital. L’aval doit être la préoccupation de tous. L’amélioration de la prise en charge aux urgences doit être portée par tout l’hôpital et pas seulement par les services d’urgences » déclarait déjà en juin 2014 Marisol Touraine aux 8ème Congrès Urgences médicales.

 

 

Face à une telle inertie ici ou là pour implémenter les solutions qui ont fait leur preuve, comme en bien d’autres domaines du système de santé, on ne peut que s’interroger sur la cause et la manière de procéder. Est-ce un défaut de moyens, de motivation, de formation ou de gouvernance ? Ou aussi et surtout de clarification des objectifs avec une bonne méthode participative. Et un vrai leadership, comme diraient les danois.