Faut-il une touche de privatisation du service public hospitalier

Philippe LEDUC pour le Blog du Think Tank Economie Santé

26 Oct 2023
Philippe LEDUC, Directeur du Think Tank Economie santé

La Cour des comptes se défend de vouloir faire entrer le loup dans la bergerie. Mais son dernier rapport qui analyse les facteurs de concurrence et de complémentarité entre les établissements publics et privés ouvre une voie, une brèche diront certains, dans l’organisation hospitalière en France. L’objectif est louable : mieux répondre aux besoins concrets des patients. Le sujet est explosif.

 

Il faut « contraindre les praticiens et les opérateurs à coopérer davantage » via un « contenu revitalisé du service public hospitalier (SPH). » La Cour dans son récent rapport passé un peu inaperçu « Les établissements de santé publics et privés, entre concurrence et complémentarité » souhaite à juste titre que l’offre hospitalière soit mieux organisée sur les territoires, davantage en complémentarité qu’en concurrence entre le public et le privé. Et propose que « tout établissement de santé autorisé et financé par la solidarité nationale (sous-entendu le public comme le privé) doit participer à la mise en place effective d’un service public hospitalier performant à l’échelle du territoire considéré, en fonction de sa capacité d’accueil, des spécialités qu’il exerce et en réponse aux besoins concrets des patients. »

 

Revitaliser le service public hospitalier public
Concrètement, pour revitaliser le « service public hospitalier » qui « manque de consistance », la Cour propose « une mobilisation plus large que celle des seuls établissements publics de santé. » En clair : faire davantage appel au privé. Dans des conditions strictes.
En analogie et symétrie avec l’exercice privé avec dépassement des honoraires dans les hôpitaux publics, la Cour souhaiterait que « l’existence d’une activité libérale avec dépassement d’honoraires cesse d’empêcher un établissement quel que soit son statut (donc public comme privé), de participer au SPH, dés lors que seraient respectées des conditions contraignantes d’accès financier et géographique. » Ainsi « l’activité des praticiens libéraux dans les établissements privés à but lucratif pourrait s’inscrire dans le cadre du SPH selon des conditions formalisées dans les autorisations d’activité délivrées par les ARS. » Un consensus se dégage note la Cour sur l’importance d’associer tous les praticiens, y compris les libéraux des cliniques privés, au service public hospitalier. Le but recherché est important : améliorer l’accessibilité financière sans reste à charge avec ou sans assurance complémentaire et adapter la régulation aux contrastes territoriaux (concentration dans les métropoles et près des littoraux).

 

Une longue histoire houleuse
Les SPH, c’est une longue histoire particulièrement houleuse. A bien connaitre. Pour éviter les errements et les postures. Et atteindre l’objectif fixé de mieux répondre aux besoins des patients. Le SPH a été créé en 1970, puis décomposé en 14 missions en 2009 par la loi HPST (Bachelot) et compte tenu de l’émoi des tenants d’un service public cohérent revu en 2016 par la loi Touraine qui a défini un « bloc d’activités » exercé exclusivement par les établissements publics et les Espic. Il faut donc manier avec prudence ce type de réforme pour éviter à nouveau ces valses hésitations.

 

Forts contrastes
Plus globalement, ce rapport est très instructif. Il rappelle que les soins hospitaliers sont inégalement accessibles selon les spécialités, les territoires et les patients. Le partage de l’activité entre le public et le privé est implicite, schématiquement et en moyenne : les patients les plus graves majoritairement dans le premier, les plus âgés dans le second. La concurrence sur les courts séjours s’est intensifiée depuis 2014 dans les métropoles. Le secteur public assure de plus en plus et presque exclusivement la couverture des besoins sur l’ensemble du territoire, les pathologies les plus sévères et les contextes sociaux les plus difficiles. La chirurgie est surtout le fait du privé. Avec de fortes spécificités territoriales.

 

Les ARS au cœur
La réforme du régime des autorisations d’exercer délivrées par les ARS engagé depuis 2 ans pourrait être l’occasion de mieux organiser la complémentarité entre les différents secteurs hospitaliers. La pertinence, la qualité et la satisfaction des patients devraient être mieux pris en compte, en particulier dans les projets régionaux de santé en veillant à la participation de tous les établissements publics et privés. De même dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens du public comme du privé. Plus de souplesse, de finesse et de précision devraient guider les ARS.

 

A haut risque
La Cour par la voix de son Premier Président, Pierre Moscovici, insiste, lors de la présentation de ce rapport à la presse le 12 octobre dernier, sur la nécessité de développer plus systématiquement les coopérations en surmontant les clivages historiques entre ces deux secteurs. Il ne s’agit en rien d’une privatisation du service public hospitalier martèle-t-il. Les pouvoirs publics et les ARS en particulier oseront-ils s’engager dans cette voie, certes à haut risque d’incompréhension et de raidissement mais qui peut être salutaire pour les patients et l’offre hospitalière sur chaque territoire.
Ce rapport public thématique de 131 pages sur les établissements hospitaliers est une mine tant de chiffres que de pistes à explorer et suscitera le débat. Il fait sept recommandations.

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