Développer vraiment l’ambulatoire pour les patients

Depuis près de deux décennies déjà, les établissements de soins publics ou privés, hôpitaux ou cliniques, ont développé leurs activités « ambulatoires » ; c’est-à-dire leurs activités qui n’impliquent qu’une hospitalisation très courte, en journée, ou bien se limitant à 24 ou 48 h.

21 Mai 2022
Philippe LEDUC, Directeur, Think Tank Economie Santé

Cette évolution n’est pas propre à la France. On la retrouve dans la plupart des systèmes de soin des pays développés, et souvent beaucoup plus radicalement qu’en France. A son origine, on retrouve deux ruptures principales. D’abord, des innovations scientifiques et techniques qui « raccourcissent » le déroulement des choses et autorisent la réalisation de transmissions, de gestes ou d’investigations qui auparavant nécessitaient du temps et des hospitalisations classiques, souvent prolongées. Ainsi, par exemple, les diverses interventions diagnostiques ou thérapeutiques par voie endoscopique, mais aussi l’administration des chimiothérapies ou même le suivi d’affections chroniques comme le diabète, dans le cadre innovant « d’hôpitaux de jour ». Ensuite, seconde rupture, l’évolution sociétale qui conduit nombre de patients à préférer leur lieu de vie habituel à une chambre d’hôpital, dès lors que leur sécurité est assurée.

 

Dans ces conditions, les responsables des établissements publics ou privés ont adapté leur organisation et les services proposés aux malades. Pour l’essentiel, cette réorganisation s’est traduite par une réduction des capacités d’hospitalisation classique et par un investissement humain et matériel indispensable à une prise en charge satisfaisante des malades en « ambulatoire ». En effet, concentrer sur quelques heures l’ensemble des prestations (administratives, sociales, hôtelières, soignantes, médicales ou chirurgicales, etc…) à servir à un malade est un véritable nouveau métier.

 

Cette évolution parait avoir été menée à bien dans de nombreux pays développés, depuis les pays scandinaves, jusqu’aux Etats-Unis et l’Australie. Aux Etats-Unis notamment, l’évolution a été facilitée par la faculté dont disposent les opérateurs de soins, publics ou privés d’investir soit « à l’hôpital » soit « en ambulatoire ». On a vu ainsi au cours des dernières années des opérateurs publics comme la Veteran Health Administration (VHA) ou bien privés comme le Kaiser Permanente – historiquement hospitalo-centrés – investir dans le secteur ambulatoire, afin de mieux servir les besoins de leurs patients affiliés et bénéficiaires (tout de même sensiblement plus de 10 millions de patients dans les deux cas cités). Dans les pays scandinaves (County de Stockholm et Danemark en particulier, c est le système d information performant – en particulier entre la ville et l’hôpital – et la capacité d innovation des professionnels du terrain qui semblent avoir été décisifs).

 

De surcroît, cet investissement du secteur ambulatoire répond à une nouvelle réalité clinique et épidémiologique. D’abord, un nombre croissant de malades plutôt âgés et souvent porteurs de plusieurs affections chroniques bien contrôlées relèvent davantage d’un suivi ambulatoire efficace que d’hospitalisations itératives liées à des décompensations. Ensuite, et c’est un point essentiel, le développement continu de l’activité « ambulatoire » au sein des hôpitaux ou cliniques, dans pratiquement toutes les spécialités, suppose et même implique que la « ville » soit mieux organisée qu’elle ne l’est encore actuellement. Mieux organisée, cela signifie en particulier qu’un patient attendu en hospitalisation de jour doit y être soigneusement préparé et bien davantage encore pour ce qui concerne sa sortie immédiate après une investigation ou un geste thérapeutique sur un plateau technique. Cette surveillance d’un patient en amont ou en aval du passage sur un plateau technique est indispensable au développement de l’activité ambulatoire au sein des établissements publics ou privés. A l’évidence, elle ne peut pas reposer d’une manière satisfaisante sur des professionnels de ville, exerçant encore aujourd’hui majoritairement de manière individuelle sinon isolée et attachés à une conception d’un « libéralisme » vieillissant, difficilement compatible avec une continuité et une coordination des soins sans faille.

 

C’est pourquoi il faut se féliciter des initiatives des médecins et soignants qui, sur le terrain, se regroupent de plus en plus souvent depuis maintenant une bonne dizaine d’années, de manière, notamment, à assurer continuité et coordination des soins.

 

C’est également pourquoi on peut observer avec intérêt les initiatives récentes des groupes d’hospitalisation privée* qui investissent (enfin) dans des organisations « pluriprofessionnelles » de soins de proximité en invitant des jeunes et de moins jeunes professionnels libéraux à s’y installer ; et à y trouver des conditions d’exercice modernisées, adaptées aux standards de l’époque et finalement tout à fait attractives et efficientes.

 

En revanche, on peut, pour le moins, rester réservé sur les réactions (qui ont circulé sur la toile) de plusieurs membres du collectif inter hospitalier, agitant la menace du privé et regrettant que de l’argent public (cad des dotations – prévues par la loi – de l’assurance maladie) soit mobilisé pour assurer le fonctionnement de telles « organisations pluriprofessionnelles de soins de proximité ».

 

*c’est de l’initiative du Groupe Ramsay qu’il s’agit. Le centre de soins primaires (accès aux soins, prévention…) de Pierrelatte qui vient d’ouvrir, est le premier d’une expérimentation pilotée par le ministère de la Santé et la Caisse nationale de l’Assurance-maladie dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale, permettant de tester des innovations dans l’organisation du système de santé. Plusieurs autres centres devraient suivre. ( Le Monde 26 avril 2022)