Deux fleurons des réformes en santé sur la sellette

Philippe LEDUC pour le Blog du Think tank Economie Santé

07 Juin 2023
Philippe LEDUC

La Cour des comptes reste sur la même ligne. Bis Repetita. En dépit des difficultés du système de santé, la Cour appelle à un redressement de la situation financière de la Sécu et en particulier de l’Assurance maladie. Avec en ligne de mire : les expérimentations Art 51 et le Service d’accès aux soins (SAS) sans oublier la maitrise médicalisée.

 

Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale qui parait désormais au printemps, la Cour alerte. Après un déficit de la Sécu de 19,6 Md€ en 2022 et une franche amélioration prévue en 2023 à 8,2 Md€, le déficit devrait à nouveau s’aggraver dès 2024 et se stabiliser au-dessus de 13 Md€ en 2025 et 2026.

Les dépenses d’assurance maladie ont fortement augmenté passant de 200 Md€ en 2019 à 247 Md€ en 2022, soit une progression de 5,6% par an hors dépenses liées au Covid. De 2017 à 2019, celle-ci était de 2,3% par an. « Il convient à présent de rechercher des économies d’efficience du système de soins afin d’assurer le respect d’une trajectoire prévue beaucoup plus contrainte » martèle la Cour qui appelle à des « réformes plus vigoureuses » et d’autant plus que la progression des dépenses budgétées (Ondam) en 2023 est en-deçà de 0,5 point de l’inflation attendue (4,3% hors tabac). Ce qui induit une contrainte supplémentaire. Idem en 2024.

La Cour rappelle – sans se lasser – les nombreuses pistes de réforme qu’elle a identifiées : réduction des rentes de situation, meilleure organisation des acteurs du système de santé en fonction d’objectifs d’accessibilité, de continuité, de qualité et de sécurité des soins, et un meilleur encadrement des dépenses les plus dynamiques. La maitrise médicalisée est de nouveau remise à l’ordre du jour, en en revisitant hardiment le modèle.

 

Reprofiler les expérimentations
Le premier fleuron des réformes en santé mis sur la sellette par la Cour concerne les expérimentations Article 51 (Article 51 de loi de financement de la sécurité sociale de 2018). Les pouvoirs publics en attendaient beaucoup. Celles-ci avaient été présentées comme devant permettre d’éviter les dérives des expérimentations des années précédentes : vingt-trois entre 2007 et 2027 mais peu avaient été généralisées, certaines n’avaient pas été mises en œuvre et d’autres n’avaient pas été poursuivies. En 2018, donc, un cadre général est posé, avec cette nouvelle manière de procéder présentée comme une rupture. Le principe reposait sur la possibilité de déroger à titre expérimental à des règles générales d’organisation ou de tarification pour promouvoir une approche transversale sans être bloqué par les règles de financement habituelles. La quasi-totalité des expérimentations lancées ont justement visé des prises en charge partagées entre la ville et l’hôpital ou de nouvelles modalités de rémunération des soins en ville pour faciliter l’intervention conjointe de plusieurs professionnels libéraux. Fin 2022, 120 projets avaient été sélectionnés parmi 1073 candidatures. Mais patatras, la Cour pointe l’absence d’une vision globale : certaines expérimentations semblent se faire concurrence ou sont redondantes. En outre le grand nombre d’expérimentations rend l’évaluation complexe. La Cour déplore que le tri n’ait pas encore été engagé et que la généralisation tarde à être définie.
Voilà un fort stimulant pour que les équipes qui supervisent les expérimentations Art 51 se sentent renforcées et motivées pour accélérer.

 

Piloter le Service d’accès aux soins, le SAS
Autre fleuron des réformes santé du précédent quinquennat, le Service d’accès aux soins (le SAS) dont l’objectif majeur est tout simplement d’accentuer la prise en charge en ville des urgences non vitales (les soins non programmés) et de désengorger les urgences hospitalières par une nouvelle collaboration entre la médecine de ville et la Samu, et son bras armé le 15. Les premières expérimentations ont commencé fin 2021. La généralisation du dispositif a été annoncée en mars 2022. La Cour est claire. Le SAS doit voir son déploiement « piloté de manière effective. » Ceci passe en particulier par un renforcement des SAMU dont les missions ont été considérablement élargies avec la gestion du SAS. Et aussi en veillant à la bonne articulation et une implication équilibrée entre la médecine de ville et l’hôpital (qui dispose de l’infrastructure et des services supports). Un pilotage national devra évaluer les effets concrets sur les parcours de soins.

 

Refonte de la maitrise médicalisée
Au-delà de ces deux cas particuliers, la Cour élargit la focale en consacrant un long et argumenté chapitre à la maitrise médicalisée : « un outil décevant au regard des ambitions qu’il porte … avec des résultats incertains. » Elle appelle à une « refonte nécessaire et un indispensable changement d’échelle. » Cette prise de position n’a que peu été reprise alors qu’elle aurait dû susciter un vrai débat pour sortir des incantations.
La maitrise médicalisée date de plus de 30 ans. Sa conception a évolué au fil du temps. Elle vise, est-il rappelé, à « réduire les dépenses de santé inutiles, redondantes, voire délétères sans porter atteinte à la qualité des soins nécessaires » et ceci « ne contrevient pas, s’empresse de souligner la Cour, au principe de liberté dont jouissent les médecins dans leurs actes et prescriptions, les médecins étant tenus d’observer « la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins », ainsi que c’est écrit dans la Code de santé publique. Prudente, la Cour reconnait que « la mise en œuvre de la maitrise médicalisée est délicate. » Mais ce qui ne l’empêche pas d’enfoncer le clou avec force. Constatant que les mesures actuelles ne sont qu’incitatives et s’appuient essentiellement sur l’adhésion « limitée » des professionnels de santé, et que les économies reposent sur un chiffrage artificiel, la Cour préconise « un changement d’échelle » en ciblant mieux les prescripteurs les plus éloignés des référentiels en recourant à des données suffisamment fines pour que l’Assurance maladie puisse adapter ses interventions. Pas simple. « L’absence de données relatives au diagnostic, étape initiale du processus de soins sur laquelle est fondé le parcours incluant la prescription de médicaments, de traitements, d’examens, d’arrêts de travail, de consultations d’autres professionnels de santé, rend beaucoup plus difficile les actions de maitrise médicalisée. » La Cour mise sur le déploiement de la prescription électronique qui ne sera effectif qu’en 2025. » D’ici là elle recommande de « fixer des seuils d’activité minimale pour certaines interventions », « d’accélérer la mise à jour de la nomenclature des actes », vieux serpent de mer et enfin de « mieux associer les professionnels de santé aux actions de maitrise médicalisée qui les concernent directement en consacrant une partie des négociations conventionnelles à ce thème. » Reste à savoir si la période est propice !