Virage ambulatoire : sortie de route ?

Il semblait acquis que le système de soins allait amorcer un virage ambulatoire...

29 Août 2021
Le Blog du Think Tank Economie Santé

Depuis au moins 2015 – et indépendamment de la sensibilité politique des équipes ministérielles successives – il semblait acquis que le système de soins allait amorcer un virage ambulatoire, c’est-à-dire en deux mots, développer les possibilités d’accueil et de suivi des patients en secteur ambulatoire, ce qui réduirait de fait l’accueil dans les établissements de santé.

 

Au demeurant, cette évolution radicale n’était pas propre à la France ; on la retrouvait dans l’ensemble des pays développés, avec pour nombre d’entre eux des réalisations déjà effectives*. On sait le rationnel de ce virage ambulatoire. Il est pour l’essentiel double : avant tout, la rupture épidémiologique et la primauté des maladies chroniques observées par l’OMS depuis une vingtaine d’années sur laquelle se greffe l’évolution sociologique qui conduit une large majorité de patients à préférer une consommation de soins « libérée » de l’hospitalisation classique. Tout cela étant grandement nourri et facilité par la profusion d’applications de télésanté et les systèmes d’information, enfin maitrisés, dont devraient bénéficier les professionnels.

 

Reste que le transfert significatif des malades de l’hôpital vers l’ambulatoire requiert une solide organisation de « la ville » qui fait encore, en France, le plus souvent défaut. Et il faudra encore pas mal de temps pour que les incitations portées par les pouvoirs publics depuis trois ou quatre ans – afin que les professionnels « libéraux » se regroupent et se coordonnent mieux – se traduisent par des résultats tangibles à l’échelle du pays. Reste aussi que diverses initiatives du terrain associant les professionnels des soins primaires autour de plateaux techniques ou de pôles de spécialités montrent déjà leur pertinence.

 

Alors pourquoi différer encore le virage ambulatoire ? Pour une seule raison que chacun a pu constater depuis près de 18 mois et qui est que l’hôpital a repris la main et a réaffirmé sa place au centre du village.  Pour cela, la communication de crise autour de la pandémie a suffi. Communication il est vrai bien maitrisée par les cadres de l’administration hospitalière ; plus inégalement par les médecins. Reste enfin que ce recentrage sur l’hôpital public (et le « Ségur » qui l’a ponctué) a permis un rattrapage salarial pour les personnels soignants, ce qu’il faut saluer.

 

Et puisqu’il faudra encore promouvoir le virage ambulatoire avant qu’il ne survienne, autant en rappeler les termes essentiels, comme ils viennent opportunément d’être résumés dans un petit texte publié dans le JAMA du 5 août.

 

https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2782976

 

Un mot d’abord sur les auteurs : deux vieux routiers du monde académique nord-américain, désormais « emeritus » d’une des plus anciennes universités, sise sur la côte est des EU. Le survol de leur PubMed est significatif. A noter aussi qu’ils ont tous les deux exercé leurs fonctions soignantes dans des structures ambulatoires … Il suffira d’ajouter qu’Hal Sox a également été l’ editor in chief des Annals pendant 8 années, avant de présider le P-CORI, organisme non gouvernemental à but non lucratif qui venait d’être créé en 2010. Et pour le petit texte du JAMA, ils se sont adjoint un responsable du Center for Healthcare Quality and Payment Reform, institué lui en 2008 .

 

Prenant appui sur un volumineux rapport** (près de 450 pages) publié en mai dernier par The National Academies (au sein desquelles l’IOM a été intégré depuis 2015) les auteurs structurent leur propos autour des deux points suivants , dès lors que les services aux malades sont assurés en ambulatoire par des teams pluriprofessionnelles associant le sanitaire et le social et au sein desquelles les compétences des uns et des autres sont utilisées au mieux :

 

  • Rémunérer*** les équipes de manière pérenne, régulière et adaptée à la complexité de chaque cas, afin que l’ensemble des services à rendre à chaque patient à risque ou bien porteur d’une affection chronique, le cas échéant avec comorbidité(s) soit délivré par le bon professionnel, au bon moment et dans la continuité ; et maintenir une rémunération à l’acte pour les problèmes ponctuels de tous les autres patients.
  • S’assurer le plus simplement possible de la plus grande pertinence des services rendus à chaque patient au moyen des deux leviers suivants. D’une part, développer l’usage des Patient-Reported Outcomes qui permettent d’ajuster les choses avec « ce qui compte vraiment » pour chaque personne ; d’autre part, favoriser un environnement professionnel qui contribue – et le regroupement y est pour beaucoup par ses échanges permanents – à l’amélioration continue des pratiques des uns et des autres (en particulier via le cercle vertueux de l’analyse routinière des résultats cliniques)

 

On verra ce qu’il en sera de tout ça à partir de la prochaine rentrée ….

 

*Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis (et idem en Australie ou en Scandinavie …) de puissantes organisations de soins, historiquement fondées sur des hôpitaux, publique comme la Veteran Administration , ou privées, comme la Mayo Clinic ou bien le Kaiser Permanente développent depuis plus de dix ans des modalités de prise en charge ambulatoire de malades qui autrefois étaient hospitalisés pendant plusieurs jours ; il est vrai que ces organisations investissent et opèrent indifféremment en « ambulatoire » ou en « établissements » selon leurs priorités stratégiques ; ce n’est que très exceptionnellement  le cas en France …

 

** rapport aisément téléchargeable. Implementing High-Quality Primary Care: Rebuilding the Foundation of Health Care . National Academies Press; 2021.

 

***Ce sujet de la rémunération est crucial ; on peut relire à ce sujet sur ce Blog les textes  d’avril et novembre 2018 et celui de février 2019. Et il faut regretter la réserve des pouvoirs publics et le conservatisme des professionnels, aussi excessifs l’une que l’autre.