De l’exercice médical individuel à l’exercice collégial : Une idée simple

Il est toujours délicat et le cas échéant périlleux de dater l’émergence d’une évolution sociale ou professionnelle ou même politique d’importance ; ainsi en est-il de l’exercice médical

13 Apr 2021
Philippe LEDUC, Directeur, Think Tank Economie Santé

De manière immémoriale cet exercice résulte d’un face à face entre le patient et le médecin dans le cadre sanctuarisé du colloque singulier. Bien. Il n’empêche qu’au tournant des années 2000 le colloque singulier s’est assoupli, s’est diversifié jusqu’à mettre en présence le patient avec plusieurs médecins ou plusieurs soignants, intervenant soit successivement, soit – de moins en moins rarement – simultanément, afin de faire au mieux pour un malade.

 

Plusieurs évolutions survenues dans ces années-là ont déterminé ce passage d’un exercice individuel, sinon isolé, à un exercice collégial de la médecine. Avant tout, la complexité de la matière médicale, avec en miroir la complexité des problèmes portés par les malades. Si bien que « la réunion de concertation pluridisciplinaire » (RCP) est devenue un mode d’exercice habituel. Les psychiatres de secteur en avaient déjà l’expérience avec d’autres soignants et services sociaux, les cancérologues en ont fait la mesure phare du premier Plan cancer en 2003 ; et en ambulatoire, les équipes des maisons de santé les ont adaptées tout comme les professionnels qui avaient initié les réseaux de soins au cours des années 80 et 90 les avaient adoptées. Bref, la concertation entre médecins et plus largement entre professionnels du soin et des services sociaux devient la pratique courante (en ambulatoire comme elle l’était déjà dans les bons services hospitaliers). Tout cela favorisé par une communication multimédia enfin banalisée. Et parmi d’autres évolutions intervenant de manière synergique, on retrouve l’agrément de l’exercice pour des professionnels libérés de l’isolement et bénéficiant d’un environnement sécurisant ou bien la pertinence des pratiques qui a beaucoup à gagner dans la collégialité des décisions*.

 

Ainsi, tout devrait donc aller pour le mieux en suivant cette idée simple qui conduit de l’exercice individuel à un exercice davantage collégial ; et pourtant.

 

Et pourtant il se trouve des résistances à dépasser qui sont principalement de deux ordres. En premier lieu celles des représentations professionnelles. Elles hésitent à faire le pas en avant qui les conduiraient à constituer une représentation collégiale inter ou pluriprofessionnelle ; il est vrai que ce pas en avant « enjambe » une sorte de gouffre où elles pourraient s’abîmer. En second lieu celles produites par la bureaucratie qui administre le monde de la santé ; en voici deux exemples parmi d’autres.

 

D’abord la HAS, les ARS…et les protocoles pluriprofessionnels. Ces protocoles sont le véhicule privilégié des diverses coopérations/coordinations dont les professionnels peuvent convenir pour améliorer le sort des malades. Dès lors, il aurait fallu que ces protocoles affichent deux caractéristiques essentielles, simplicité et brièveté, de manière à pointer les deux ou trois points déterminant la conduite à tenir dans la plupart des cas. Au lieu de cela, ce sont des documents exhaustifs, pointillistes, souvent d’une gestation laborieuse et d’une application contraignante qui sont donnés en exemple aux professionnels.

 

Ensuite la CNAM et les négociations conventionnelles sur l’ACI (Accord Cadre Interprofessionnel).

 

L’agenda de ces négociations peut être approché en suivant le « fil d’actu » proposé par le site ACOORDE tenu par l’un des initiateurs de l’exercice pluriprofessionnel. Dans la livraison du 10 avril accessible sur internet , on peut ainsi prendre connaissance des propositions soumises à négociation. Cela concerne en particulier cinq aspects importants du quotidien des maisons de santé :  les soins non programmés, les infirmières de pratique avancée, les assistants médicaux (dont il semble, enfin, qu’il pourraient être affectés au groupe et non au seul médecin) la démarche qualité et l’implication des usagers. Pour chacun de ces aspects, les négociateurs autour de la table ont à discuter un florilège bureaucratique par lequel des points, des bonus, des indicateurs, des certifications, etc. bref un meccano redoutable est à l’ordre du jour. Pour administrer et faciliter l’exercice quotidien des soignants regroupés au service des malades, on pouvait faire plus simple !

 

*C’est pourquoi, dès 2005, les réunions de concertation, les groupes de pairs, et toutes formes de pratique « collégiale » avaient été heureusement promues pour professionnaliser l’évaluation des pratiques, au grand dam des bataillons de médecins habilités.